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Les premières phrases

Olivier Adam - La renverse«  J’ai pris le sentier longeant les falaises. Quelques fleurs de bruyère résistaient encore, parmi les premiers ajoncs et les restes de fougères brûlées par le froid. Je suis resté un moment là-haut, le temps de griller les cigarettes qui me faisaient office de petit déjeuner, de m’emplir les poumons de goudron et d’iode congelé. Tout était parfaitement figé dans la lumière acidulée du matin. Au loin, un kayak glissait sur les eaux tout à fait lisses, d’un bleu tendre de givre, semées d’îlots où somnolaient des cormorans frigorifiés, luisants et noirs, comme recouverts de pétrole. J’ai regardé l’heure. Jacques était pointilleux sur la question. J’avais beau lui répéter qu’à cette période de l’année il n’était pas rare que personne ne passe le seuil de la librairie de la journée, il n’en démordait pas. On ne savait jamais. Il y avait toujours un petit vieux pour se pointer dès l’ouverture, et il connaissait ce genre d’énergumène, l’œil rivé à la montre et toujours prompt à se plaindre du temps perdu, bien qu’en disposant par camions-bennes. J’ai regagné la voiture, mis le contact et poussé le chauffage à fond. La soufflerie couvrait en partie le son de la radio, rendait presque inaudible le murmure des nouvelles du jour.  »

Circonstances de lecture

Parce que c’est Olivier Adam…

Impressions

Dès les premières phrases, Olivier Adam nous transporte dans son univers. Un monde balloté entre les flots de l’océan, l’odeur d’embrun de la Bretagne et de la Normandie, et les petits pavillons de banlieue parisienne où son héros a grandi. Un héros qui a mis sa vie entre parenthèses depuis qu’un scandale a éclaboussé sa mère et détruit du même coup son enfance et celle de son frère. Car lorsqu’un scandale politique éclate sur la place publique, qui pense à la détresse des enfants ? Comment vivre avec et après ça ?

Un beau roman où Olivier Adam fait encore une fois mouche avec sa plume vive et acérée, sans concession.

Un passage parmi d’autres

 Nous avons bu notre café en silence. En fond jouait un vieux Dylan. J’observais Jacques parmi le bois des bibliothèques et des tables couvertes de livres. Être à ses côtés m’apaisait. Dans cet endroit où l’on se sentait toujours protégé de tout, de la bêtise en particulier, comme si les millions de mots enfouis dans ces pages faisaient écran, même quand parfois elle faisait irruption dans la bouche d’un client, croyant bon de donner son opinion sur tel ou tel sujet de société, telle péripétie de la vie politique, important l’emporte-pièce dans cette boutique consacrée au temps long, aux mots qu’on tourne sept fois dans sa bouche avant de les coucher sur la page. Et Jacques lui-même personnifiait ce qui se jouait entre ces murs. Sa tendresse un peu féroce, la lumière de son sourire et la précision de sa pensée, sa lucidité érudite, son empathie lettrée. Il était un genre de père idéal. Un père rêvé. A mes yeux du moins.

Olivier Adam – La renverse – Janvier 2016 (Flammarion)