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« Ma mère.
La nuit, ma mère grince. La maison grince avec elle. J’entends derrière la mince paroi qui nous sépare les divers éléments de ma mère gargouiller dans son corps comme l’eau circule dans les murs de la maison. Je déteste ce son. Le jour, il se noie dans le bruit de la radio et du vent, le bourdonnement de l’électricité. La nuit en revanche, dans le silence, ses intestins s’animent et elle paraît vivante, d’une manière qui n’est pas celle du jour. Ce regain me force à songer à ses déchets, à ses besoins, aux corvées dont ma grand-mère pour le moment se charge, mais qui bientôt vont m’échoir. Je n’en ai pas envie, et ça me donne mauvaise conscience. Je hais son corps – cette chose hideuse. »
Impressions
Voici l’une des deux premières publications de la nouvelle collection Styx lancée par les éditions Fleuve, une collection dédiée aux romans fantastiques et d’horreur. Avec Vers ma fin, Sophie White, écrivaine irlandaise, propose une lecture malaisante, glauque, poisseuse, tout en étant intrigante et prenante. On y suit une jeune fille, vivant dans la maison la plus reculée d’une petite île (une maison étrange, comme inversée, à moitié barricadée), en compagnie de sa grand-mère et de sa mère, cette « chose » inerte dont elle doit s’occuper et qui rythme ses journées. Ce n’est pas une vie, c’est une prison. Les autres habitants, elle les fuit au maximum, ne comprenant pas pourquoi ils la rejettent depuis toujours. Son seul moment de bonheur : s’échapper quelques heures sur la plage et nager dans l’océan. Le reste de sa vie se résume aux tâches ménagères, aux directives cinglantes de sa grand-mère, aux soins qu’elle doit prodiguer à sa mère, aux visites mensuelles de son père. Jusqu’au jour où une étrangère arrive sur l’île, avec son nourrisson, éveillant des émotions jusque-là inconnues.
Cette histoire m’a vraiment mise mal à l’aise, et c’est en soi signe que ce roman d’horreur est une réussite. Le body horror est omniprésent dans le récit. Le corps de la mère est décrit de manière crue, sans œillères ni pudeur, un corps qui suinte, pue, se creuse et s’abîme. Quant à certains passages évoquant des pulsions sexuelles, je trouve que l’on aurait pu s’en dispenser. Reste qu’il y a ces mystères que l’on souhaite résoudre et qui nous poussent à poursuivre la lecture, aussi dure soit-elle : si la mère est inerte le jour, comment se fait-il qu’elle puisse se retrouver au petit matin, dehors, à quelques pas de la maison ? Pourquoi la grand-mère et le père gardent-ils leur fille cloîtrée dans la maison, la privant de toute éducation et de tout lien social ? Que lui cachent-ils ? Et surtout, qu’est-il arrivé à la mère pour qu’elle se retrouve impotente, incapable de bouger et de parler ?
Ce n’est pas facile de dire si j’ai aimé cette histoire. Ce que je peux cependant affirmer, c’est qu’elle m’a marquée. Un grand nombre de scènes sont perturbantes et dérangeantes, mais elles prennent tout leur sens au fil du récit. Il y est notamment question de maltraitance, de culpabilité, du rejet de l’étranger, des nons-dits familiaux, de dépression post-partum, ou encore du rôle d’aidant (là encore, le propos a de quoi heurter).
Ce roman m’a un peu fait penser à La maison biscornue de Gwen Guilyn, mais avec un degré d’horreur supplémentaire. Si vous aimez les lectures horrifiques oppressantes et malaisantes, venez donc découvrir ce roman qui a remporté le prix Shirley Jackson en 2022. Attention cependant si vous êtes sensibles, de nombreuses scènes pourraient vous heurter.
Vers ma fin – Sophie White – Styx (Fleuve Éditions) – Octobre 2025 – Traduit de l’anglais (Irlande) par Anne-Sylvie Homassel – Couverture réalisée par Nicolas Beaujouan – Illustration par Chris Shehan
