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Les premières phrases

« Depuis presque un an, maintenant, il prend des photos d’objets abandonnés. Il y a au moins deux chantiers par jour, parfois jusqu’à six ou sept, et chaque fois que ses acolytes et lui pénètrent dans une nouvelle maison, ils se retrouvent face aux objets, aux innombrables objets jetés au rebut que les familles ont laissés en partant. Les absents ont tous fui précipitamment dans la honte et la confusion, et il est certain que, quel que soit le lieu où ils vivent à présent (s’ils ont trouvé un endroit où vivre et ne sont pas en train de camper dans les rues), leur nouveau logement est plus petit que la maison qu’ils ont perdue. Chacune de ces maisons est une histoire d’échec – de faillite, de cessation de paiement, de dette et de saisie – et il s’est chargé personnellement de relever les dernières traces encore perceptibles de ces vies éparpillées afin de prouver que les familles disparues ont jadis vécu là, que les fantômes des gens qu’il ne verra ni ne connaîtra jamais restent présents dans les débris qui jonchent leur maison vide.« 

Circonstances de lecture

Lu en septembre 2011, dans le métro et chez moi. Je lis tous les Paul Auster dès leur parution française, depuis Le Livre des Illusions en 2003. Je ne regarde même pas le sujet avant de l’acheter. C’est l’un de mes auteurs préférés.

Impressions

Paul Auster dépeint l’Amérique d’après la crise des subprimes. Les premières pages sont saisissantes. Perpétuellement en fuite, Miles, le personnage principal, est amené à squatter une maison abandonnée avec un ancien ami, Nathan, et deux jeunes femmes. Tous sont en marge de la société. Les relations père-fils sont encore une fois au coeur du roman. J’aurais cependant apprécié une fin plus fermée…

Un passage parmi d’autres

 Il a vingt-huit ans et, pour autant qu’il sache, pas la moindre ambition. Pas d’ambition dévorante, en tout cas, et aucune idée claire de ce que pourrait impliquer pour lui la construction d’un avenir plausible. Il sait qu’il ne va pas rester en Floride beaucoup plus longtemps, que le moment est proche où il va éprouver le besoin de repartir, mais tant que ce besoin n’a pas mûri en nécessité d’agir, il se satisfait de demeurer dans le présent sans penser à l’avenir. S’il y a quelque chose qu’il a accompli pendant les sept années et demie qui se sont écoulées depuis qu’il a quitté l’université et qu’il se débrouille tout seul, c’est bien d’être capable de vivre dans le présent, de se limiter à l’ici et maintenant ; et même si l’on peut imaginer des réalisations davantage dignes d’éloges, il lui a fallu, pour y parvenir, une discipline et un contrôle de soi considérables. Ne pas avoir de projets, c’est-à-dire n’avoir ni envies ni espoirs, se satisfaire de son lot, accepter ce que le monde vous octroie chaque jour d’un coucher de soleil au suivant – pour vivre de cette manière, il faut désirer très peu, aussi peu qu’il est humainement possible.

Sunset Park – Paul Auster- 2010 (parution US) – 2011 (parution française – Actes Sud)