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Audur Ava Olafsdottir, Critique de livre, Rosa Candida, roses, Zulma
Les premières phrases
« Comme je vais quitter le pays et qu’il est difficile de dire quand je reviendrai, mon vieux père de soixante-dix-sept ans veut rendre notre dernier repas mémorable. Il va préparer quelque chose à partir des recettes manuscrites de maman – quelque chose qu’elle aurait pu cuisiner en pareille occasion.
« J’ai pensé, dit-il, à de l’églefin pané à la poêle et ensuite une soupe au cacao avec de la crème fouettée. » Pendant que papa essaie de trouver comment s’y prendre pour la soupe au cacao, je vais chercher mon frère à son foyer dans la vieille Saab qui va sur ses dix-huit ans. Josef m’attend depuis un moment, planté sur le trottoir et visiblement content de me voir. Il est sapé à bloc parce que c’est ma soirée d’adieu, il porte la chemise que maman lui a achetée en dernier, violette à motifs de papillons.
Pendant que papa fait revenir l’oignon alors que les morceaux de poisson attendent, tout prêts, sur leur lit de chapelure, je vais dans la serre chercher les boutures de rosier que je vais emporter. Papa m’emboîte le pas, ciseaux à la main, pour couper de la ciboulette destinée à l’églefin et Josef, silencieux, le suit comme une ombre. Il n’entre plus dans la serre depuis qu’il a vu les débris de verre causés par la tempête de février qui a réduit en miettes beaucoup de vitres. Il reste dehors, près de la congère, et nous suit du regard. Papa et lui portent le même gilet noisette avec des losanges jaunes. «
Circonstances de lecture
Lu fin avril, début mai, dans le train. Une jolie lecture.
Impressions
Arnljottur a tout juste 22 ans. Il vient de perdre sa mère, et d’apprendre qu’il va devenir père, après une nuit passée avec une jeune femme qu’il connaît à peine, Anna. Lié à sa mère par la passion des jardins et des fleurs, il décide de partir s’occuper d’une roseraie laissée à l’abandon, au sein d’un monastère, avec pour bagage, des boutures d’une variété de roses uniques : la Rosa Candida à huit pétales. Un très beau livre sur la quête de soi, le deuil et l’apprentissage de la paternité, où l’on se surprend à sentir l’odeur de beurre fondue dans la poêle, de soupe au cacao, et de roses entêtantes.
Un passage parmi d’autres
Je sens que maman commence à disparaître, j’ai tellement peur de ne plus pouvoir bientôt tout me remémorer. C’est pourquoi j’évoque à nouveau notre dernière conversation au téléphone, lorsqu’elle a appelé de la voiture écrabouillée et je m’attarde sur les plus petits détails imaginables. Maman voulait appeler papa et c’est moi qui ai répondu. Il lui avait donné le portable peu de temps auparavant mais à ma connaissance, elle ne s’en servait jamais ; je ne savais même pas si elle l’emportait avec elle. Pour qu’elle continue d’exister, je m’ingénie à découvrir constamment quelque chose de nouveau à son sujet, à chaque réminiscence j’ajoute de nouveaux renseignements sur ce que j’ignorais avant.
Papa ne lui avait pas dit au revoir différemment ce matin-là ; il avait du mal à me pardonner d’avoir répondu au téléphone et encore plus à se pardonner lui-même de n’avoir pas été à la maison. Il aurait voulu être le dépositaire des derniers mots de maman, qu’elle ne parte pas sans lui avoir dédié ses dernières paroles.
« Elle avait besoin de moi, et j’étais dans une boutique en train d’acheter une rallonge électrique », dit-il.
Rosa Candida – Audur Ava Olafsdottir – 2010 (Editions Zulma)