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Les premières phrases

«  La mémoire de la terre est étrangère à celle des hommes. On croit tout connaître de l’histoire et du monde, mais il est des âges anciens où vivaient encore mille merveilles aujourd’hui disparues. Seuls les arbres se souviennent, et le ciel et le vent… Ainsi peut-on lire encore aujourd’hui, gravée dans la pierre, l’histoire de Bohem et des Brumes, sur une terre de légende qu’on appelait Gallica.

C’est pendant la nuit de la Saint-Jean de l’an 1150 que, selon la légende, commença cette histoire, dans le castrum de Villiers-Passant.

C’était un petit bourg fortifié au sud du comté de Tolsanne, à quelques lieues de la mer et de Nabomar, la cité des hérétiques. On y menait une vie paisible dans la beauté imperturbable des collines méridionales. La plupart des habitants étaient, depuis la nuit des temps, agriculteurs, petits négociants ou, bien sûr, vignerons. Le seigneur qui occupait le château, Maugard de Villiers, était un homme discret, que l’on voyait rarement. Il se contentait de percevoir un péage de la part des étrangers qui devaient traverser le castrum, lieu de passage incontournable quand on remontait de Nabomar. Mais la véritable autorité, dans les remparts du village, était entre les mains du prêtre, protégé de l’archevêque de Tolsanne.

Juin allait bientôt s’éteindre, et, comme chaque année, le père Grimaud avait demandé au louvetier de chasser une Brume afin qu’elle fût sacrifiée le soir sur le bûcher de Villiers-Passant.

En effet, l’Eglise s’accommodait mal de ces animaux de légende. Ces créatures merveilleuses venues d’un âge plus ancien. Chimères, vouivres, bayards, tarannes, loups, piternes, licorne… De moins en moins nombreuses, elles dérangeaient toutefois encore par l’affront qu’elles faisaient à la foi chrétienne, par leur simple présence. Par la vérité de leur existence. Car elles n’étaient pas des créatures de Dieu ; elles étaient les survivantes d’un mythe que l’Eglise préférait oublier. Alors, on les appelait « créatures du démon » et on les chassait à travers le pays. Le roi, soucieux de satisfaire les papes successifs, payait même des hommes pour se charger de cette triste besogne. C’étaient les louvetiers. »

Circonstances de lecture

Lu quelques années après la trilogie de La Moïra du même auteur. Même si les deux trilogies peuvent être lues indépendamment, il est préférable d’avoir lu La Moïra avant Gallica.

Impressions

Les deux premiers tomes se lisent avec plaisir, le dernier s’essouffle cependant un peu. Malgré tout, je recommande Gallica. Notamment pour les thèmes abordés : l’intolérance religieuse, la lutte pour le pouvoir, la peur de l’inconnu, la préservation des loups et de la nature.

Bohem, fils de louvetier, sauve un loup du bûcher. Sa vie s’en voit radicalement bouleversé. Traqué, il s’enfuit de son village et se découvre un destin peu commun, en lien avec les Brumes. Une belle histoire.

Un passage parmi d’autres

 Je suis seul. Le temps s’est arrêté. Autour de moi, une vaste plaine et un beau ciel azuré. Les nuages sont figés. Le vent ne souffle plus. Je ne vois pas mes mains. Je ne vois pas mon corps.

Derrière moi. Une présence. Je me retourne. Lentement. Et je le vois. Le loup. Le loup gris. Je reconnais son pelage. Je crois même que je reconnais ses yeux.

Il est magnifique. Debout sur un rocher. Penché vers moi comme s’il voulait lire dans mon âme. Quelque chose est gravé sur le rocher. Sous ses pattes. Deux phrases. Je ne peux pas les lire. Je ne sais pas.

Le loup se retourne. Je comprends tout de suite. Il veut que je le suive. Il avance. Je flotte. Je traverse l’espace, peut-être le temps. Je ne sais à quelle vitesse nous avançons. Et je parviens à suivre le loup. Mon loup. Sans réfléchir. Comme si je connaissais déjà son chemin. Il est mon guide. Je n’ai qu’à suivre la voie que m’ouvre la Brume.

Soudain elle disparaît. Le monde autour de moi s’éteint et se rallume, plusieurs fois, comme si je clignais lentement des yeux. Il n’y a toujours pas un bruit. A peine le battement de mon cœur. Bat-il vraiment ?

Je suis devant une forêt. Le long tapis d’herbe s’arrête à quelques pas, au pied d’un mur d’arbres touffus. J’attends. Je sais que je ne suis pas là par hasard. C’est mon loup qui m’a guidé. Et il sait où je dois me rendre.

Une silhouette se dessine à la lisière de la forêt. Une figure qui apparaît à l’orée du bois. Un homme. De petite taille. Haut comme un enfant. Fort. Il sort de l’ombre des arbres. Je le distingue mieux à présent. Il a une longue barbe blanche qui descend sur son ventre rond. Sur son dos, il porte un instrument que je ne connais pas. Il est vêtu d’une cotte de maille et d’une armure de cuir. A sa taille, il porte une courte et splendide épée. Et sur sa tête, un chapeau marron orné d’une longue plume d’oie blanche.

Il s’avance. Il sourit. On dirait qu’il me reconnaît. Mais je ne l’ai jamais vu, moi. Pourtant, j’ai l’impression de le connaître aussi. De l’avoir toujours connu. Comme un frère.

Il parle mais je ne l’entends pas. Je vois ses lèvres qui bougent, mais aucun son n’en sort. Il est tout près maintenant. Il tend son bras vers moi, le poing fermé. Il serre quelque chose dans le creux de sa main. Quelque chose qu’il veut me donner.

Lentement, il tourne sa main vers moi.

Et il ouvre les doigts.

Gallica – Henri Loevenbruck – 2008 (Editions Bragelonne)