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Les premières phrases
« Dans les mains du faune, griffues, calleuses, le marc de pomme est riche et sucré, un trésor de trognons écrasés, de peaux cireuses et de pulpe, dix couleurs différentes dans l’espace qui sépare la meule du pressoir et sa roue. Il enfonce les doigts dans la rigole – si la roue dérape, il perdra sa main velue – et arrache une poignée de bouillie, la jette sur une étamine posée au sol. Il saute de gauche à droite, ses sabots glissent sur le plancher mouillé, ses griffées acérées aident le marc à sortir rapidement du sillon circulaire. Par moments il lève sa tête cornue pour surveiller, nerveux, la porte du pressoir : s’il tend l’oreille, il arrive à entendre la voix de son demi-frère, dehors, toujours en train de négocier les pépins déjà donnés. »
Circonstances de lecture
Parce que c’est édité chez L’Atalante.
Impressions
Comment résumer un tel livre ? Appleseed est l’histoire de notre monde, de ce que nous en avons tiré, de ce que nous en avons fait, de ce qu’il risque de devenir dans les années à venir, de ce qu’il en restera… C’est un tout. Un roman monde, donc, qui fait se succéder, chapitre après chapitre, trois époques.
Tout d’abord, un passé (le 18ème siècle) que nous traversons au côté de deux demi-frères, Nathaniel l’ambitieux, et Chapman, le faune devant cacher sa part bestiale aux yeux des autres. Deux frères qui se sont donnés pour mission de planter des pépins de pommes pour en tirer de l’argent pour l’un, pour pouvoir croquer dans « LA » pomme qui lui permettrait de devenir véritablement humain pour l’autre.
Puis nous passons dans un futur pas si lointain, celui de John, un scientifique qui a fui ce qui reste de la « civilisation », qui a fui la corporation Earthtrust créée par son amie d’enfance, Eury. Il erre dans une Amérique suant sous une chaleur accablante, celle qui empêche les plantes de pousser, les animaux de s’abreuver, un monde où les abeilles n’existent plus.
Enfin, l’auteur nous transporte des décennies plus tard. Une ère glaciaire semble avoir recouvert la Terre. Et une étrange créature, C-433, explore la glace, au sein de sa bulle photovoltaïque, à la recherche de souvenirs du passé.
Matt Bell nous fait passer d’une époque à une autre, réinventant les mythes (Orphée et Eurydice) et les légendes (celle de Johnny Appleseed), montrant avec justesse des hommes et des femmes tiraillés par leurs désirs, par ce qu’ils veulent pour eux, pour les autres et pour la planète. Des souhaits à la fois simples et complexes : rester soi-même tout en étant accepté par les autres, voir des abeilles butiner, laisser la nature être, arrêter de la modeler, de la détruire, ou au contraire la dominer et la transformer…
Lisez Appleseed ! C’est une lecture inclassable, riche, sucrée, acide, à la fois douce (les descriptions de la nature à travers les yeux de Chapman sont superbes), et horrible (le travail du Tisseur, la « collection » d’Eury…). Que vous soyez en phase ou en désaccord avec les décisions des personnages, vous ne pourrez en tout cas pas rester indifférents. Et puis il y a cette question de John, « Si le monde se résume à l’humanité, vaut-il vraiment la peine d’être sauvé ? ». Je vous laisse tenter d’y répondre… Pour ma part, j’ai bien une petite idée…
Matt Bell – Appleseed – Février 2024 – L’Atalante