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Les premières phrases
« Le petit combi russe bleu tout-terrain crapahutait, en équilibre instable, vers la ligne de crête. En dodelinant dangereusement, sa carcasse peinturlurée écrasait sous ses pneus ramollis des cailloux chauds qui fusaient en cognant sous le châssis. La pente et les soubresauts décidaient de sa trajectoire plus que les efforts du chauffeur, cramponné de ses mains d’ogre au fin volant de bakélite ivoire.
– On va finir par verser et rouler jusque dans la vallée si tu continues comme ça. Et c’est moi qui suis à la place du mort.
Al éclaboussait de Chinggis tiède son T-shirt Yes We Khan à chaque couinement des ressorts à lame de la suspension malmenée.
– Si on verse, tout le monde meurt, philosopha Zorig, son corps de géant voûté pour tenir dans l’habitacle, les genoux dans le volant et la tête contre le pare-brise. Mais ça n’arrivera pas. Ces engins-là c’est comme des tiques. Ça suce la route et ça ne la lâche plus.
– Sauf le jour où tu nous as fait basculer dans le lac Airag, au sud de Khyargas, rappela Naaran, cramponné au skaï de la banquette arrière, la tête cognant contre la tôle de métal brut. »
Circonstances de lecture
Parce que je suis fan de Yeruldelgger !
Impressions
Après les deux premiers tomes de la saga Yeruldelgger, voilà le chapitre final autour de ce flic peu conventionnel. Un troisième tome qui clôture en toute beauté ce polar de Ian Manook. Yeruldelgger ne fait ici plus partie de la police d’Oulan-Bator. Il vit reclus en pleine steppe, dans une yourte reculée, afin de contenir sa violence intérieure et renouer avec ses racines. Mais comme on pouvait s’y attendre, sa retraite va être bousculée par l’arrivée de deux femmes à la recherche de son aide. Et il va replonger malgré lui dans un monde d’une rare violence.
On retrouve dans ce dernier volet la même patte qui m’avait tant plu dans les deux premiers tomes (en particulier le premier), ce tiraillement d’un pays entre ses traditions, ses paysages magnifiques, et le progrès, souillant ses terres par la soif du pouvoir et de l’argent. La Mongolie à l’état brut.
Un passage parmi d’autres
-Tais-toi ! s’emporta Yeruldelgger en effrayant son cheval qu’il dut retenir par la bride. Je ne veux plus entendre parler de combat. Regarde où me battre m’a mené.
– Parce que ne pas te battre t’aurait mené ailleurs ?
– Peut-être bien. Peut-être que j’étais fait pour rester nomade et ne pas me battre. Apprendre à subir, à résister, à endurer, et ne jamais me battre. Tout ton art au contraire m’a poussé dans la colère et la violence, alors ne viens pas pleurer à mes côtés maintenant que ça m’a coûté ce qui me restait de vie.
Puis il garda le silence jusqu’à ce que le spectre de Nerguii disparaisse. Ne resta alors que la tiédeur d’une steppe d’émeraude au pied de la colline. La fraîcheur blanche d’une rivière scintillante emmêlant ses rubans autour de lourdes touffes de roseaux argentés. Un horizon dentelé à l’est de crêtes bleues et crantées, et lissé à l’ouest par la houle irisée d’une prairie échevelée. Quelques chevaux à la crinière blonde, avec le monde entier pour pâture. Et au nord, un ciel qui se chargeait des rouleaux mauves d’un orage électrique.
Ian Manook – La mort nomade – octobre 2016 (Albin Michel)
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