Étiquettes
Arléa, Critique de livre, essai, Petit éloge de la fuite hors du monde, Rémy Oudghiri, roman
Les premières phrases
« Dans sa préface à Sésame et les Lys de John Ruskin, publiée en 1906, Proust commence son inoubliable éloge de la lecture en soulignant ce paradoxe : au cours de notre enfance, les moments que nous passions à lire dans notre coin, à l’insu des autres, semblaient nous soustraire aux aléas de la vie quotidienne et nous exiler loin du monde réel, et cependant, parvenus à l’âge adulte, nous prenons conscience que ces instants étaient peut-être ce que nous avons vécu de plus vrai et de plus accompli dans toute notre existence.
Il en est de la lecture comme de certaines formes de retrait. Ce que nous croyons perdre, nous le gagnons ; ce que nous pensons éviter, nous nous en approchons ; ce que nous paraissons quitter, nous l’atteignons. Et, parfois, cette sortie apparente marque en réalité notre entrée dans un monde que nous n’osions plus espérer tant nous y avions projeté de nos rêves et de nos aspirations les plus intimes.
Derrière ce paradoxe se cache le charme singulier de la fuite hors du monde. Ce charme, il appartient à chacun de le connaître. Qui n’a jamais ressenti au moins une fois dans sa vie l’envie pressante de fuir le monde ? Qui n’a, dans un moment d’égarement ou de découragement, rêvé de tout quitter, sortir du jeu ou disparaître ? »
Circonstances de lecture
Parce que c’est la suite du premier essai de Rémy Oughiri, « Déconnectez-vous!« .
Impressions
Après la déconnexion, voilà que Rémy Oudghiri nous propose un petit éloge de la fuite. Un thème qu’il aborde à travers ses lectures. Pétrarque, Rousseau, Tolstoï, Flaubert, ou encore Le Clézio, Pascal Quignard et Jon Krakauer (Into the wild) viennent appuyer sa thèse selon laquelle la fuite hors du monde peut être salvatrice, et est, paradoxalement aussi, une façon d’y entrer vraiment et d’être en accord avec soi-même.
Si vous aimez – tout comme moi – vous évader dans les livres, vous ne pourrez qu’apprécier cet essai. Fuir la société, fuir le monde, fuir les faux-semblants, fuir l’hypocrisie, mais surtout, fuir pour mieux se connaître et se réaliser pleinement. Fuir pour être, tout simplement ! Vive la fuite ! Vive la lecture ! « Petit éloge de la fuite hors du monde » est un livre à mettre entre les mains de tous les amoureux de la lecture.
Un passage parmi d’autres
Quelque chose se met en mouvement. Les circonstances peuvent être très banales. Un rayon de soleil nous effleure le visage, une réflexion d’un proche anime un ressort enfoui au fond de nous, un silence dans l’hiver soudainement nous saisit. Quelque chose vient de commencer. Il nous prend l’envie de sortir et de laisser tout derrière nous : travail, famille, enfants, obligations diverses. Les minutes passent et, peu à peu, nous prenons conscience que nous sommes en quête d’une autre vie. Il y a des jours – très rares dans l’existence d’un individu – où celle-ci semble lui faire signe, elle l’appelle ; mieux : elle le saisit au corps et dévoile en lui une énergie intérieure qu’il ne soupçonnait pas. La plupart des gens se contentent le plus souvent de se laisser bercer par cet appel, d’entrevoir la douceur du monde promis, d’en savourer les couleurs, les éclats, la chaleur, les bontés. Mais c’est tout. Rien ne se passe au-delà de ce sursaut imaginaire créé en eux. Chacun vit une petite fugue par procuration. Et chacun continue comme avant, ou presque.
Rémy Oudghiri – Petit éloge de la fuite hors du monde – 2014 (Arléa)