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Les premières phrases
« La magie était libre à nouveau.
Sa musique résonnait sur les nerfs de Gair comme sur les cordes d’une harpe, promesse de puissance vibrant sous ses doigts. Il n’avait qu’à l’accueillir à bras ouverts, s’il osait. Il appuya son front sur ses genoux et se mit à prier.
– Je Vous salue, Mère pleine de grâce, lumière et vie de ce monde. Heureux les débonnaires, car ils trouveront force en Vous. Heureux les miséricordieux, car ils trouveront justice en Vous. Heureux les égarés, car ils trouveront salut en Vous. Amen.
Phrase après phrase, verset après verset, la prière s’échappait de ses lèvres gercées. Il serra convulsivement ses doigts, cherchant la forme familière des grains de son chapelet pour ne pas perdre le fil, bien que ce soit fait depuis longtemps déjà. Lorsque les mots lui manquèrent, il serra ses genoux encore plus fort sur sa poitrine et recommença.
– Maintenant, je suis égaré dans les ténèbres, ô Mère, je me suis écarté de Votre voie, guidez-moi de nouveau…
La musique chuchotait toujours à son oreille. Rien ne pouvait en couvrir le murmure enjôleur. Ni les prières, ni les supplications, ni même les quelques hymnes dont il se souvenait encore. Elle était partout : dans les murs de fer rouillé de sa cellule, dans la sueur nauséabonde qui luisait sur sa peau, dans les couleurs qu’il voyait dans le noir. A chaque inspiration qu’il prenait, elle devenait un peu plus forte.
Un carillon argentin retentit. Gair ouvrir les yeux et fut ébloui par une lumière si vive, si blanche, qu’il dut se protéger le visage. A travers ses doigts, il vit deux silhouettes vêtues de lumière. Des anges. Sainte Mère, des anges envoyés pour le ramener avec eux.
– … Bénissez-moi maintenant et accueillez-moi à Vos côtés, pardonnez-moi tous mes péchés…
Agenouillé, Gair attendit d’être béni. Un violent coup du revers de la main lui fit perdre l’équilibre.
– Epargne-nous tes psalmodies, sale changelin !
Un autre coup le projeta brutalement contre le mur revêtu de fer. Une douleur fulgurante lui envahit la tempe et, dans un dernier frémissement, la musique se tut. »
Circonstances de lecture
Lu fin janvier 2012. La présentation que l’éditeur Bragelonne en faisait m’a poussée à l’acheter. Un enchantement.
Impressions
Le livre en lui-même laissait déjà présager d’un bel objet. La lecture des premières pages m’a tout de suite emportée dans l’aventure de Gair, condamné à l’exil parce qu’il est l’un des seuls à entendre le Chant. Aidé par Alderan, il découvre petit à petit ses pouvoirs et la noirceur du monde qui l’entoure. Si vous aimez le Seigneur des Anneaux, La Légende du Peuple Turquoise d’Ange, mais aussi Harry Potter, ce livre est fait pour vous. D’autant qu’Elspeth Cooper a une vraie plume. Ce qui est assez rare en Fantasy. Vivement le prochain Tome !
Un passage parmi d’autres
– Tu peux le faire, Gair.
Cette voix douce et grave lui emplit les oreilles, plus forte que la tempête, légère comme un murmure. D’énormes vagues s’écrasaient contre la coque de la « Mouette » et bouillonnaient sur son pont en pente, essayant d’emporter hommes et matériel. Les embruns déferlaient à leurs pieds. Au-dessus de leur tête, une corde trop tendue se rompit avec un claquement sonore.
Gair hésita.
– Je… Je ne pense pas. Le Chant est trop puissant.
– Ne pense pas ; aie foi, c’est tout. Aie foi en lui. Confiance en toi.
A ces mots, un bruissement enveloppa l’esprit de Gair comme le battement d’ailes puissantes. En réponse, une note chatoyante résonna là où régnait auparavant le silence. Pâle et ténue au début, elle se renforça à chacune de ses pulsations. D’autres notes suivirent, s’entrelaçant autour de la première pour former une harmonie complexe qui se mit à enfler et à exercer une pression croissante sur sa volonté. Tout ce qu’il avait à faire, c’était s’y ouvrir.
Il ne pouvait pas.
– N’aie pas peur. Il ne te fera pas de mal.
Gair entendit la voix d’Alderan aussi clairement que si les mots avaient été prononcés à l’intérieur de sa tête. Il en resta éberlué. La vague suivante faillit le faire tomber, et ce ne fut que grâce à la poigne ferme de son aîné qu’il resta debout. Une giclée d’eau de mer lui cingla le visage, l’aveuglant momentanément ; il cligna des paupières et vit qu’Alderan le regardait toujours intensément dans les yeux.
– Touche-le. Accepte-le. Il fait partie de toi, Gair. Il t’appartient.
– J’ai peur, chuchota le jeune homme, avant de s’ouvrir à la magie.
Elle le submergea entièrement. La tempête, la mer, le bateau sous ses pieds, tout devint secondaire. Il en avait encore conscience, mais vaguement, comme d’une conversation dans une autre pièce. Désormais, c’était une musique palpitante, en plein essor, qui occupait ses sens.
Les Chants de la Terre – Elspeth Cooper – Novembre 2011 (Editions Bragelonne)
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