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Les premières phrases

«  Très cher Journal,

Aujourd’hui, j’ai pris une grande décision : je ne mourrai jamais.

D’autres mourront autour de moi. Annihilés. Rien de leur personnalité ne subsistera. Extinction des feux. Leur vie, leur entièreté, seront résumées sur le marbre poli de leur pierre tombale par des formules mensongères (« Son étoile brillait au firmament », « Nous ne t’oublierons jamais », « Il aimait le jazz »), lesquelles seront à leur tour balayées par un raz-de-marée ou mises en pièces par on ne sait quelle dinde de l’avenir génétiquement modifiée.

Ne les laissez pas vous raconter que la vie est un voyage. Un voyage, c’est quand on arrive quelque part. Quand je prends la ligne 6 du métro pour aller voir mon assistante sociale, ça c’est un voyage. Quand je supplie le pilote de l’avion brinquebalant de la UnitedContinentalDeltamerican en plein survol trémulant de l’Atlantique de faire demi-tour vers Rome et les bras volages d’Eunice Park, ça c’est un voyage.

Mais minute. Ce n’est pas tout. Il y a notre héritage. On ne meurt pas, puisque notre progéniture nous survit ! La transmission rituelle de l’ADN, les frisettes maternelles, la lèvre inférieure de son grand-père, « Je crois que les enfants sont notre avenir ». Là, je cite The Greatest Love of All, de la diva pop des années 1980 Whitney Houston, piste 9 de son premier 33 tours éponyme.

Des conneries tout ça. « 

Circonstances de lecture

Pour être tout à fait honnête, ce livre a bien failli ne pas figurer sur ce blog… J’ai eu beaucoup de mal à le finir.

Impressions

J’avais lu de très bonnes critiques sur Super triste histoire d’amour… Peut-être trop… Et j’ai été déçue. Le style d’écriture est pourtant superbe quand le personnage principal Lenny écrit dans son journal intime, mais trop cru et répétitif à d’autres moments, notamment lors des échanges mails d’Eunice… Certes, c’est voulu, mais j’ai eu beaucoup de mal à m’y faire.

Ce livre raconte l’histoire de Lenny, un émigré russe habitant aux Etats-Unis dans un futur proche. Un pays passé sous le joug de la Chine et du yuan. Dans son journal intime, Lenny raconte son malaise face à une société asservie par les nouvelles technologies, l’argent et la recherche de la jeunesse éternelle. Un monde où les « livres papier » sont méprisés, et où les relations humaines sont devenus insipides. Il tombe amoureux d’Eunice, une jeune fille esclave du shopping compulsif et incapable d’être heureuse…

La description de ce futur hypothétique donne des frissons… Les dernières pages sont bouleversantes. A lire donc pour faire en sorte que l’homme ne devienne pas incapable de toute relation humaine.

Un passage parmi d’autres

 Puis j’ai célébré mon mur de livres. J’ai compté les volumes sur mon étagère moderne de six mètres de long pour m’assurer qu’aucun n’avait été déplacé ou utilisé comme petit bois par mon sous-locataire. « Vous êtes mes objets sacrés, j’ai dit aux livres. Personne à part moi ne s’intéresse à vous. Mais je vous garderai avec moi pour toujours. Et un jour, je vous rendrai vos lettres de noblesse. » J’ai pensé à cette terrible calomnie propagée par la nouvelle génération : les livres puent. Et pourtant, en vue de la possible arrivée d’Eunice Park, j’ai pris mes précautions et vaporisé un spray au parfum de fleurs sauvages à proximité de ma bibliothèque, ventilant de mes mains les essences pulvérisées en direction des reliures.

Super triste histoire d’amour – Gary Shteyngart – 2012 (Editions de l’Olivier)