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Benjamin Wood, Critique de livre, Le Complexe d'Eden Bellwether, roman, Zulma
Les premières phrases
« Il y eut soudain le hurlement des sirènes, un nuage de poussière au bout de l’allée, et bientôt la pénombre du jardin fut inondée par la lumière bleue des gyrophares. C’est seulement au moment d’indiquer aux ambulanciers où se trouvaient les corps que tout leur parut réel. Il y en avait un dans la maison à l’étage, un autre dans l’ancienne chapelle, et aussi au fond du jardin. Celui-là respirait encore, mais faiblement. Il était sur la berge, dans un nid de joncs couchés, l’eau froide clapotant à ses pieds. Quand les ambulanciers demandèrent son nom, ils répondirent Eden. Eden Bellwether.
L’ambulance avait mis longtemps à arriver. Ils s’étaient réunis sur la terrasse à l’arrière du presbytère pour réfléchir, avant de céder à la panique, sans pouvoir détacher le regard des vieux ormes et cerisiers qu’ils avaient contemplés des centaines de fois en écoutant le bruit du vent dans les branches. Ils se sentaient tous responsables de ce qui s’était passé. Chacun se le reprochait. Ils s’étaient même disputés pour savoir qui était le principal responsable, qui devait se sentir le plus coupable. Oscar fut le seul à ne rien dire. Adossé au mur, il fumait, tandis que les autres se chamaillaient. Lorsqu’il finit par prendre la parole, sa voix était si calme qu’elle les avaient réduits au silence.
« C’est terminé maintenant, avait-il dit en écrasant sa cigarette sur la rambarde. On n’y changera plus rien. » »
Circonstances de lecture
J’en avais lu beaucoup de bien.
Impressions
Je l’avoue : les premières pages de ce livre m’ont passablement énervée. Rien que les deux premières pages du prélude ressemblent énormément aux premières pages du roman « Le Maître des illusions » de Donna Tartt. La trame de départ de l’histoire est également très ressemblante. Un jeune homme d’origine modeste entre petit à petit dans le cercle fermé d’un groupe de jeunes gens bien nés, dont un à la personnalité et à l’intelligence détonantes. Bref, ayant lu il y a peu le superbe roman de Donna Tartt, je n’arrêtais pas de faire un parallèle entre ces deux histoires… Heureusement, Benjamin Wood écrit bien – très bien même. Heureusement, son roman se lit vite, tant la tension monte au fil des pages. On n’a qu’une envie : aller jusqu’au bout pour connaître la fin. Alors, même si les ressemblances avec « Le Maître des illusions » sont indéniables, même si l’on devine assez vite comment l’histoire va s’achever, j’ai aimé lire ce livre.
En revanche, M. Wood, s’il vous plaît, ayez un peu plus d’imagination dans votre prochain roman. Détachez-vous de vos lectures et imaginez un univers bien à vous.
Un passage parmi d’autres
Au cours des six derniers mois, il avait lu des romans de Graham Greene, de Herman Hesse, toutes les nouvelles de Gianni Celati, Katherine Mansfield, Frank O’Connor, Alexandre Soljenitsyne, et des essais de George Orwell. Dire qu’il avait presque oublié combien il aimait lire, cette cadence particulière des mots quand les yeux passent dessus. Ses parents étaient du genre à avoir une bibliothèque, mais sans aucun livre. Ils ne comprenaient pas le plaisir de la lecture et n’avaient jamais considéré qu’il faille l’encourager. Pour eux, les livres étaient facultatifs, un truc que des professeurs de lettres débraillés imposaient aux enfants à l’école. Oscar avait été élevé dans l’idée que s’il restait dans sa chambre plongé dans des histoires et des mondes imaginaires, c’était qu’il n’appréciait pas la vie qui était la sienne, tout ce pour quoi ses parents avaient travaillé dur, comme la télé, le magnétoscope et le jardin fraîchement engazonné. Quand il le voyait lire, son père lui demandait si ça allait, s’il se sentait bien, et ce qu’était devenu cet ami venu un jour prendre le thé. Dans le lotissement de ses parents, à Watford, la vie était plus simple si on ne lisait pas. Alors il s’était efforcé de ne pas en avoir envie.
Mais depuis que le Dr Paulsen l’avait invité à piocher dans sa bibliothèque l’année précédente – « Choisis-en un. N’importe lequel. Je ne te donnerai pas de conseil » -, Oscar avait peu à peu retrouvé les joies de la lecture.
Benjamin Wood – Le Complexe d’Eden Bellwether – 2014 (Zulma)