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Haruki Murakami - Kafka sur le rivageLes premières phrases

«  – Et pour l’argent, ça s’est arrangé ? demande le garçon nommé Corbeau.

Il parle de sa façon habituelle, un peu lente. Comme quelqu’un qui sort à peine d’un profond sommeil et ne peut remuer ses lèvres tant elles sont engourdies. Mais ce n’est qu’une apparence: en réalité, il est parfaitement lucide. Comme toujours.

Je hoche la tête.

– Tu as combien à peu près ?

Je lui réponds après avoir à nouveau passé les chiffres en revue dans ma tête :

– Environ quatre cent mille en liquide. Sans compter une petite somme que je pourrai retirer avec ma carte bancaire. Ça ne suffira peut-être pas mais c’est un bon début.

– Ce n’est pas mal, dit le garçon nommé Corbeau. C’est un  bon début.

Je hoche la tête.

– J’imagine que ce ne sont pas les étrennes du père Noël, poursuit-il.

– Non.

Le garçon nommé Corbeau regarde autour de lui, les lèvres tordues par un sourire narquois.

– Cet argent sort du tiroir d’une personne qui vit dans les parages, c’est exact ?

Je ne réponds pas. Il sait parfaitement d’où vient cet argent. Il n’y a pas lieu de poser des questions détournées. Il le fait juste pour m’asticoter.  »

Circonstances de lecture

Parce que j’avais depuis longtemps envie de plonger dans ce Murakami.

Impressions

Haruki Murakami est de ces auteurs dont j’achète les romans les yeux fermés, sans même regarder de quoi ils parlent. J’aime son écriture, son style, sa manière subtile de jongler dans ses histoires entre la réalité et l’imaginaire. « Kafka sur le rivage » ne déroge pas à la règle. Son héros, Kafka Tamura, est un adolescent qui décide de fuguer. Il fuit la maison familiale pour essayer de briser une mystérieuse malédiction. En parallèle, nous suivons un vieux monsieur, Nakata, faible d’esprit depuis un événement survenu dans son enfance, obligé également de fuir… Ici, Haruki Murakami nous plonge dans l’Histoire (la seconde guerre mondiale), dans le mythe d’Oedipe, dans un monde fantastique où un homme parle aux chats et où des poissons tombent du ciel, dans une forêt et une bibliothèque à l’attrait irrésistible. On prend plaisir à se perdre dans ce monde à la frontière du réel et du fantastique. Un grand Murakami. Envoûtant.

Un passage parmi d’autres

 Nous perdons tous sans cesse des choses qui nous sont précieuses, déclare-t-il quand la sonnerie a enfin cessé de retentir. Des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu’on ne pourra pas retrouver. C’est cela aussi, vivre. Mais à l’intérieur de notre esprit – je crois que c’est à l’intérieur de notre esprit -, il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j’imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaître précisément ce qu’il y a dans nos cœurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l’aérer, changer l’eau des fleurs. En d’autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque.

Haruki Murakami – Kafka sur le rivage – 2003 (Éditions 10/18)