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Les premières phrases
« Ça peut me prendre à tout instant. Une heure ou deux. Parfois quelques minutes. Les premières manifestations sont apparues il y a trois semaines et depuis c’est comme ça. Je ne sens rien venir. Je me lève chaque matin et à n’importe quel moment de la journée, le mal peut venir me frapper. Je me retrouve subitement incapable d’articuler le moindre mot. Même si habituellement rien ne me dérange vraiment, je dois dire que cela n’est pas sans me créer un certain embarras.
Hier Robert m’a invité à les rejoindre en réunion. Je ne sais pas s’il a lu la panique dans mes yeux ; j’ai juste eu le temps de foncer aux toilettes. J’y suis resté deux heures trente, soit le temps moyen de ce genre de rassemblements. Vers midi quarante-cinq, ne percevant plus le moindre souffle en provenance de la salle, je suis sorti. Ils avaient dû partir déjeuner. Leur chaude odeur collective inondait encore l’endroit. J’ai laissé un mot sur mon bureau en disant que j’avais une gastro, j’ai écrit « j’ai une gastro » et je suis retourné chez moi. Quand ma sœur Anièce est rentrée et m’a demandé ce que je fichais là, j’ai réalisé que je venais de retrouver la faculté de parler. »
Circonstances de lecture
Parce que j’aime les éléments perturbateurs !
Impressions
Le héros de ce roman à l’humour grinçant a tout du loser : à 43 ans, Serge vit toujours chez sa sœur, n’a pas de relations amoureuse ni amicale, se fait marcher sur les pieds par ses patrons et par son frère, ministre des Finances et bientôt futur présidentiable. Cerise sur le gâteau, le voilà soudainement frappé de crises d’aphasie ponctuelles, l’empêchant de prononcer le moindre mot.
Reste qu’avec sa vision décapante des relations familiales, du monde du travail, du monde des finances et de la politique, Serge nous embarque avec lui dans sa petite révolution intérieure. Une histoire jubilatoire qui donne envie de tout envoyer valser et de dire tout haut ce que l’on pense tout bas.
Un passage parmi d’autres
Qu’est-ce que vous foutez dans mon bureau, me dit-il d’un ton suspicieux.
– C’était ouvert Monsieur Krug, je venais vous voir.
– Je vous IN-TER-DIS d’entrer dans mon bureau quand je n’y suis pas, c’est clair ?
– Très clair Monsieur Krug… je ne savais pas que vous travailliez pour la CIA, je marmonne.
– Quoi ?
– Rien.
– Bon, qu’est-ce que vous voulez, j’ai du travail, notamment à cause de vos chinoiseries.
– Le Japon, je dis.
– Ça fait une différence ? s’énerve Krug.
Je reste sans voix. J’hésite à lui répondre que le 6 août 1945 à huit heures quinze ça faisait une petite différence d’être à Pékin plutôt qu’à Hiroshima. Mais je ne dis rien. Je sais que pour les types comme lui, l’argent n’a pas de frontières.
Olivier Chantraine – Un élément perturbateur – mars 2019 (folio)