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Critique de livre, Flammarion, Olivier Adam, Peine perdue, roman
Les premières phrases
« Il sent son cœur battre dans sa tête. Ça et son souffle, ça prend toute la place. Les voitures sur le bitume humide, les moteurs les pneus, tout s’agrège en bouillie sourde à l’arrière plan. Les lumières comme des traînées orange et rouges, les palmiers les guirlandes, les néons les lampadaires, les cafés les boutiques, ça passe. Des masses plus ou moins claires, imprécises. L’hôtel où bosse Marion, ménage des chambres et petits déjeuners, son enseigne façon Los Angeles Hotel California, le mal de chien que ça lui fait de l’imaginer coucher avec l’autre connard à chemisette de VRP, le garage où il puait l’huile de moteur il y a encore un an, avant que le patron le vire parce qu’il se défonçait pendant les pauses, la clinique où le petit est né et la morsure de ne plus le voir tous les jours, ça passe. Il accélère et ça passe. La douleur dans les jambes et les poumons, les muscles qui éclatent et le souffle qui manque, l’impression d’être au bord et de tomber dans les pommes, ça fait tout passer.
Antoine vire à droite et au bout de la rue la mer est lisse : une plaque d’aluminium bordée de grains quasi marron. Entre les nuages le soleil tombe en rideau comme si le ciel avait quelque chose à nous dire. «
Circonstances de lecture
Parce que c’est Olivier Adam…
Impressions
Encore un très bon livre d’Olivier Adam. Dans Peine perdue, il nous plonge dans la vie d’une station balnéaire de la Côte d’Azur. Chaque chapitre donne la parole à l’une des 22 personnes touchées, de près ou de loin, par l’agression d’Antoine et une tempête brutale. Une jeune fille mutique, un couple de retraités, des mafieux locaux, une équipe de foot, une assistante sociale… Un roman sombre, comme toujours, mais qui décrit avec justesse les petits et grands malheurs de la vie.
Un passage parmi d’autres
Ils se relèvent et vont poursuivre leur promenade. Bien sûr c’est absurde. Le vent forcit et jamais ils ne pourront rebrousser chemin. La pluie commence à tomber et les transperce instantanément. La mer vient déjà lécher le ciment et s’aventure jusqu’à leurs pieds, alors qu’ils se tiennent prudemment en retrait, longent les grillages des villas côtières. Elle le regarde et dans ses yeux passe une question. Est-il certain de vouloir encore avancer ? De lui tenir la main et de marcher dans la pluie et la mer démontée vers la presqu’île inatteignable ? De progresser sur le chemin qui s’étrécit, jusqu’à disparaître sous la mer électrique ? De s’enfoncer dans cette nuit de plein jour, ce ciel anthracite qui a déjà tout avalé, ce rideau de pluie compacte qui les lacère désormais ? Il hoche la tête doucement. Elle lui sourit. Vers où marchent-ils ? Dans quelle nuit s’enfoncent-ils ? Quel déluge va les emporter, les dissoudre ? Les effacer. Les engloutir. Quel vent les pousse vers quel néant ?
Olivier Adam – Peine perdue – août 2014 (Flammarion)