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Belfond, Critique de livre, Haruki Murakami, L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, roman
Les premières phrases
« Depuis le mois de juillet de sa deuxième année d’université jusqu’au mois de janvier de l’année suivante, Tsukuru Tazaki vécut en pensant presque exclusivement à la mort. Son vingtième anniversaire survint durant cette période mais cette date n’eut pour lui aucune signification particulière. Pendant tout ce temps, il estima que le plus naturel et le plus logique était qu’il mette un terme à son existence. Pourquoi donc, dans ce cas, n’accomplit-il pas le dernier pas ? Encore aujourd’hui il n’en connaissait pas très bien la raison. A cette époque, il lui paraissait pourtant plus aisé de franchir le seuil qui sépare la vie de la mort que de gober un œuf cru.
Il est possible que le motif réel pour lequel Tsukuru ne se suicida pas fut que ses pensées de la mort étaient si pures et si puissantes qu’il ne parvenait pas à se représenter concrètement une manière de mourir en adéquation avec ses sentiments. Mais l’aspect concret des choses n’était qu’une question secondaire. Si, durant ces mois, une porte ouvrant sur la mort lui était apparue, là, tout près de lui, il l’aurait sans doute poussée sans la moindre hésitation. Il n’aurait eu nul besoin de réfléchir intensément. Cela n’aurait été qu’en enchaînement des choses simple et ordinaire. Pourtant, par bonheur ou par malheur, il n’avait pas été capable de découvrir ce genre de porte à proximité immédiate. »
Circonstances de lecture
Parce que c’est Haruki Murakami…
Impressions
J’adore l’écriture et les histoires de Haruki Murakami, toujours à la frontière du réel et de l’imaginaire. « L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage » ne déroge pas à la règle.
On apprend dès le départ que Tsukuru a vécu plusieurs mois de sa vie universitaire avec des idées suicidaires en tête. La raison ? Il a été rejeté du jour au lendemain, sans aucune explication, par son groupe d’amis. Des amis avec lesquels il était inséparable durant ses années de lycée à Nagoya. Seize ans plus tard, une jeune femme, Sara, le pousse à rechercher la raison de ce rejet, voyant en lui une blessure qui ne s’est pas refermée. Recherche de la vérité, exploration du thème de l’amitié, mal-être, différence, solitude… Autant de sujets que Murakami aborde dans ce roman avec une grande justesse, toujours à la lisière de la réalité et de l’imaginaire. De très beaux passages me resteront en tête. Un des meilleurs romans de Haruki Murakami. Mon coup de cœur de la rentrée !
Un passage parmi d’autres
A considérer l’ensemble de leur vie, on pouvait affirmer que ces cinq amis avaient bien plus de points communs que de différences.
Pourtant, le hasard avait voulu que Tsukuru Tazaki se distingue légèrement sur un point : son patronyme ne comportait pas de couleur. Les deux garçons s’appelaient Akamatsu – Pin rouge -, Ômi – Mer bleue -, et les deux filles, respectivement Shirane – Racine blanche – et Kurono – Champ noir. Mais le nom « Tazaki » n’avait strictement aucun rapport avec une couleur. D’emblée, Tsukuru avait éprouvé à cet égard une curieuse sensation de mise à l’index. Bien entendu, que le nom d’une personne contienne une couleur ou non ne disait rien de son caractère. Tsukuru le savait bien. Néanmoins, il regrettait qu’il en soit ainsi pour lui. Et, à son propre étonnement, il en était plutôt blessé. D’autant que les autres, naturellement, s’étaient mis à s’appeler par leur couleur. Rouge. Bleu. Blanche. Noire. Lui seul demeurait simplement « Tsukuru ». Combien de fois avait-il sérieusement pensé qu’il aurait été préférable que son patronyme ait eu une couleur ! Alors, tout aurait été parfait.
Haruki Murakami – L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage – 2014 (Belfond)