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~ Parce qu'il n'y a rien de mieux qu'un livre pour s'évader…

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Archives de Tag: Actes Sud

Confiteor – Jaume Cabré

05 vendredi Sep 2014

Posted by Aurélie in Romans étrangers

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Actes Sud, Confiteor, Critique de livre, Jaume Cabré, roman

Jaume Cabré - ConfiteorLes premières phrases

«  Ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. Tout à coup, j’ai vu clairement que j’avais toujours été seul, que je n’avais jamais pu compter sur mes parents ni sur un Dieu à qui confier la recherche de solutions, même si, au fur et à mesure que je grandissais, j’avais pris l’habitude de faire assumer par des croyances imprécises et des lectures très variées le poids de ma pensée et la responsabilité de mes actes. Hier, mardi soir, en revenant de chez Dalmau, tout en recevant l’averse, je suis arrivé à la conclusion que cette charge m’incombe à moi seul. Et que mes succès et mes erreurs sont de ma responsabilité, de ma seule responsabilité. Il m’a fallu soixante ans pour voir ça. J’espère que tu me comprendras et que tu sauras voir que je me sens désemparé, seul, et que tu me manques absolument. Malgré la distance qui nous sépare, tu me sers d’exemple. Malgré la panique, je n’accepte plus de planche pour me maintenir à flot. Malgré certaines insinuations, je demeure sans croyances, sans prêtres, sans codes consensuels pour m’aplanir le terrain vers je ne sais où. Je me sens vieux et la dame à la faux m’invite à la suivre. Je vois qu’elle a bougé le fou noir et qu’elle m’invite, d’un geste courtois, à poursuivre la partie. Elle sait que je n’ai plus beaucoup de pions. Malgré tout, ce n’est pas encore le lendemain et je regarde quelle pièce je peux jouer. Je suis seul devant le papier, ma dernière chance.

Ne me fais pas trop confiance. Dans ce genre tellement propice au mensonge que sont les Mémoires écrits pour un seul lecteur, je sais que je tendrai à toujours retomber sur mes quatre pattes, comme les chats ; mais je ferai un effort pour ne pas trop inventer. Tout s’est passé de cette façon, et pis encore. Je sais bien que je t’en avais parlé il y a longtemps ; mais c’est difficile et maintenant je ne sais pas comment m’y prendre. « 

Circonstances de lecture

Attirée par la couverture.

Impressions

Confiteor est un grand livre. Un livre exigeant aussi. J’ai dû m’accrocher pendant 100 pages avant de comprendre où l’auteur voulait en venir, et surtout pourquoi il avait choisi ce mode de narration assez déconcertant au début. Jaume Cabré passe ainsi du « je » au « il » dans la même phrase, mais aussi d’un siècle à un autre ! Car le narrateur raconte son histoire et celle de sa famille, alors que sa mémoire commence à défaillir.

Adria nous parle de son enfance, tiraillé entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le rêve en violoniste. Il nous raconte l’histoire familiale, mais aussi celle d’objets emblématiques : un violon, une médaille et un vieux torchon souillé. Il rédige ainsi sa confession. Une confession qui nous entraîne de l’Espagne de Franco à l’Inquisition en passant par le nazisme, à la poursuite de l’origine du Mal.

Si les modes narratifs déconcertent au début, tenez bon. Une fois tous les morceaux du puzzle reconstitués, ce roman en vaut vraiment la peine !

Un passage parmi d’autres

 Tu as remarqué que la vie est un hasard insondable ? Des millions de spermatozoïdes du père, un seul féconde l’ovule qu’il faut. Que tu sois née ; que je sois né, ce sont des hasards immenses. Nous aurions pu naître des millions d’êtres différents qui n’auraient été ni toi ni moi. Que nous aimions Brahms l’un et l’autre est aussi un hasard. Que dans ta famille il y ait eu tant de morts et tellement peu de survivants. Tout est un hasard. Si l’itinéraire de nos gènes et nos vies ensuite avaient bifurqué à l’un des millions de carrefours possibles, on n’aurait même pas pu écrire tout ceci, qui sera lu par je ne sais qui. Vertigineux.

Jaume Cabré – Confiteor – 2013 (Actes Sud)

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Silo Origines – Hugh Howey

16 mercredi Juil 2014

Posted by Aurélie in Romans étrangers, SF

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Actes Sud, Critique de livre, Hugh Howey, roman, Silo, Silo Origines

Hugh Howey - Silo OriginesLes premières phrases

«  2110

Sous les collines du comté de Fulton, dans l’État de Géorgie

A son retour parmi les vivants, Troy était dans une tombe. Il se réveilla dans un espace confiné, le visage tout près d’une vitre givrée.

De l’autre côté de cette couche de glace, des silhouettes s’affairaient. Il essaya de lever les bras, de frapper à la vitre, mais il n’avait pas assez de force. Il tenta un cri, mais ne réussit qu’à tousser. Il avait un goût atroce dans la bouche. A ses oreilles retentirent le bruit métallique de gros verrous qu’on ouvrait, un chuintement d’air, le grincement de gonds restés longtemps en sommeil.

La lumière était vive ; les mains sur sa peau, chaudes. Ils l’aidèrent à s’asseoir tandis qu’il toussait encore et que son souffle se condensait en petits nuages. On lui tendit de l’eau. Des pilules. L’eau était fraîche et les pilules, amères. Il parvint à avaler quelques gorgées. Il était incapable de tenir son verre seul. Ses mains tremblaient tandis qu’une déferlante de scènes cauchemardesques lui revenait en mémoire. Le passé lointain se mêlait aux souvenirs récents. Il frissonna.

Une blouse en papier. Le picotement du sparadrap qu’on arrache, à son bras. Un tuyau qu’on retire de son entrejambe. Deux hommes en blanc l’aidèrent à sortir du cercueil. De la vapeur s’éleva tout autour de son corps avant de se dissiper.

Assis, ébloui, Troy regardait, à travers le clignement de ses paupières restées longtemps fermées, les rangées de cercueils pleins de vie qui s’étendaient à perte de vue le long des murs incurvés. Le plafond lui semblait bas, impression renforcée par toute la terre qui s’amoncelait au-dessus d’eux. Et par les années. Tant d’années avaient passé. Tous ceux qu’ils chérissaient auraient disparu à présent.

Tout avait disparu. « 

Circonstances de lecture

Suite du premier tome de cette trilogie de Hugh Howey.

Impressions

Comme son nom l’indique, « Silo Origines » revient aux origines de l’histoire du silo. Ce second volet de la trilogie de Hugh Howey parle donc de ce qui a poussé les hommes à s’enterrer dans les profondeurs de la terre. Un roman de SF intelligent, très bien écrit, qui se lit en quelques jours. Je ne dirai rien de plus de peur de spoiler ceux qui n’ont pas encore lu le premier volet, « Silo ». Pour ménager le suspens, lisez bien « Silo » avant « Silo Origines »! Vivement le troisième tome !

Un passage parmi d’autres

 Troy marchait le long de la rangée de cryopodes comme s’il savait où il allait. C’était ce même instinct qui lui avait fait choisir cet étage précédemment dans l’ascenseur. Chaque écran affichait un nom inventé. Il le savait. Il se rappelait avoir inventé le sien. Ça avait un rapport avec sa femme, c’était une façon de lui rendre hommage, mais aussi un moyen secret qu’il avait trouvé pour se souvenir un jour.

Tout cela était un rêve oublié, enfoui dans les brumes du passé. Avant qu’il prenne son poste, il y avait eu une formation. Des livres à lire et à relire. C’est à cette époque qu’il avait choisi son nom.

Une explosion d’amertume sur ses papilles l’obligea à s’arrêter. C’était le goût d’une pilule en train de se dissoudre. Il tira la langue, la frotta du bout des doigts, mais il n’y avait rien. Il sentait les ulcères qu’il avait sur les gencives mais ne se rappelait pas comment ils avaient pu se former.

Il continua à avancer. Quelque chose clochait. Ces souvenirs n’étaient pas censés lui revenir. Il se vit sur un chariot en train de crier, de se faire attacher, piquer le bras. Mais non, ce n’était pas lui. Lui, il tenait les bottes de l’autre homme.

Il s’arrêta devant l’un des podes et lut le nom d’Helen. Il eut un haut-le-cœur. Il ne voulait pas se rappeler. Tel était l’ingrédient secret : ne pas vouloir se rappeler. Ces souvenirs étaient censés lui échapper, devaient se prendre dans les tentacules des médicaments pour disparaître sous la surface. Mais à présent, une infime partie de lui mourait d’envie de tout savoir à nouveau. Un doute le rongeait, l’impression d’avoir laissé derrière lui une part cruciale de lui-même. Et cette infime partie de lui était prête à le noyer tout entier pour avoir des réponses.

Hugh Howey – Silo Origines – 2014 (Actes Sud)

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Les brumes de l’apparence – Frédérique Deghelt

19 jeudi Juin 2014

Posted by Aurélie in Romans français

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Actes Sud, Critique de livre, Frédérique Deghelt, Les brumes de l'apparence, roman

Frédérique Deghelt - Les brumes de l'apparenceLes premières phrases

«  Peut-être qu’à un moment je me suis dit qu’il valait mieux oublier tout ça, ne jamais en parler à personne, continuer ma vie qui, somme toute, me plaisait bien. Peut-être qu’il est impossible d’oublier ce qu’on a vu quand on ouvre une porte sur l’inconnu et qu’on comprend que de l’autre côté il se passe quelque chose d’immense. Peut-être que je me raconte des histoires et que tout ce qui est arrivé là, je l’avais désiré, manigancé à mon insu.

Le temps n’a plus d’importance. Je suis comme les enfants, comme les vieux et les âmes libres. Une minute peut me paraître une éternité, et cent ans un instant. Il suffit que je le décide. J’hésite entre la fiction et la réalité, mais raconter une histoire comme un joli conte de fées, c’est toujours la même imposture : rien n’est autobiographique, mais tout est vécu. Qu’est-ce que je pense maintenant du parcours de cette fille qui a grandi sans trop de problèmes et qui est devenue une femme, ni meilleure ni pire qu’une autre ; une femme comme il en existe des milliers, flanquée d’un mari, d’un enfant, une bourgeoise sans prétention qui vit comme on roule sur une autoroute, en mettant de l’essence dans le véhicule et en payant le péage jusqu’à destination ? « 

Circonstances de lecture

J’avais beaucoup aimé un de ses précédents romans, « La grand-mère de Jade ».

Impressions

Gabrielle est une Parisienne, à l’aise les pieds solidement posés sur le bitume, un brin allergique à ce qui se passe de l’autre côté du périphérique. Alors, quand elle reçoit en héritage une maison abandonnée en province, isolée dans une forêt que les gens du coin disent hantée, elle n’a qu’une idée : la vendre au plus vite pour s’en débarrasser. Évidemment, rien ne se passe comme prévu. Ce lieu finit par l’attirer… et va lui révéler des pouvoirs et un passé dont elle ignorait tout.

Une belle histoire, entre fiction et réalité, dans laquelle Frédérique Deghelt aborde ces faits étranges que l’on tend généralement à évacuer d’un revers de la main ou d’un haussement d’épaules. Ces petites choses qui surviennent au-delà de toute logique. Combattre les préjugés, s’accepter comme l’on est, voir au-delà des apparences, croire en l’impossible, voilà ce que nous propose Frédérique Deghelt. Si la deuxième moitié du roman m’a moins emportée, « Les brumes de l’apparence » demeure tout de même une de mes lectures préférées de ces derniers mois.

Un passage parmi d’autres

 La France sauvage, je ne la connais pas, je ne la recherche pas, et le plus drôle c’est que je suis en train de me demander si je n’ai pas tort.

Quelques petits points rouges à travers le feuillage attirent mon attention. Un cerisier sauvage qui, probablement, a destiné ses fruits aux oiseaux depuis fort longtemps. Quand je vois des cerises à Paris, je pense aux clafoutis que je mangeais autrefois. Quand je goûte les premières cerises, chaque début d’été, une bouffée d’enfance remonte de je ne sais où. Je revois un arbre que j’adorais, mais où était-il ? Quelque chose en moi a envie de dire que j’y allais avec ma grand-mère dans un jardin dont je ne sais plus le nom, mais je n’ai pas le souvenir d’une aïeule, ni d’une récolte de cerises en sa compagnie. Pourtant je me revois, bien cachée sur une branche, avec la sensation d’être perchée sur l’univers le plus gourmand du monde. Je remplissais mon ventre et mon panier. Je tachais mes habits, je crachais les noyaux, où était-ce ? Seule la mémoire des papilles me jette dans cette euphorie. A Paris, les fruits n’ont pas d’odeur. Les fraises sont devenues comme les gens, ils ne sentent plus rien. J’en oublie la rivière. Une branche plus basse, je l’utilise comme appui. Les oiseaux ont déjà picoré, mais il en reste encore de bien mûres que je vais me faire une joie de leur disputer. J’ai envie d’éclater de rire. Seule, perchée sur ma branche avec mes gourmandises d’un franc rouge foncé. Je les ai mises sur chaque oreille, je retombe en enfance et ça fait un bien fou. Et me vient une idée plus folle encore : y a-t-il eu un moment où je ne détestais pas la campagne ? Peut-être, quand j’étais très petite. Avant que la ville ne devienne mon terrain de jeu exclusif.

Frédérique Deghelt – Les brumes de l’apparence – mars 2014 (Actes Sud)

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Lady Hunt – Hélène Frappat

04 dimanche Mai 2014

Posted by Aurélie in Romans français

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Actes Sud, Critique de livre, Hélène Frappat, Lady Hunt, roman

Hélène Frappat - Lady HuntLes premières phrases

«  La première fois que j’ai vu la maison, les arêtes de ses murs en briques disparaissaient sous une brume grise.

La maison se dresse en haut d’une rue en pente. Malgré le brouillard lumineux qui l’enveloppe, son ombre imposante se détache sur les villas environnantes. C’est une brume de fin de journée, un halo gris qu’absorberont bientôt les rayons blancs du crépuscule, juste avant la nuit, et la maison aura disparu.

Pourtant la brume dure. La douceur grise, humide, semble sans fin. Elle encercle la vieille demeure, émane de ses volets en fer, des ses cheminées inactives, de la grille haute qui protège, derrière des barreaux rongés de rouille, l’allée ombreuse conduisant au perron.

La brume absorbe les balcons ouvragés à l’étage, les jalousies closes des mansardes, le toit d’ardoise, la cime des arbres. La brume pénètre insidieusement mes vêtements. Sans quitter des yeux la maison, je frissonne.

La rue en pente conduit jusqu’à la jetée qui longe la mer, ruban sombre presque invisible à marée basse. Aucune vague n’agite cette ligne confondue avec l’horizon, dans la partie mystérieusement claire et dégagée du ciel.

En fermant à demi les yeux, je distingue la première lettre de la rue : K. La suite se perd dans la brume.

K. Dans mon rêve, je sais que c’est le début de mon nom. K. Ce n’est pas la première fois. Dans mon rêve, je sais que je connais la maison.

K. me réveille en sursaut. Dans le noir de ma chambre, jusqu’aux premières lueurs de l’aube qui s’infiltrent en bas des stores, j’attends, vainement, de m’endormir pour retrouver la maison familière, incapable de me rappeler où je l’ai connue, ailleurs qu’en rêve. »

Circonstances de lecture

Pour l’histoire, à la frontière du fantastique et du réel.

Impressions

Travaillant dans une agence immobilière, Laura Kern rêve chaque nuit d’une maison, obsédante, attirante et terrifiante. Peu à peu, elle est confrontée à des phénomènes étranges. Et une question l’agite alors : est-ce des symptômes annonçant qu’elle a hérité du gène de son père, frappé par la maladie de Huntington ? Va-t-elle peu à peu sombrer dans la folie ? Est-ce le passé qui revient la hanter pour lui délivrer un message ?

Une lecture qui n’est pas sans rappeler, dans certains passages, le Shining de Stephen King, en beaucoup plus soft évidemment ! A lire aussi pour le poème de Tennyson, « The Lady of Shalott », qui imprègne ce très beau roman d’Hélène Frappat.

Un passage parmi d’autres

 Le miroir réfléchit un rayon qui trace sur les lames biseautées du parquet une frontière nette. Le salon est coupé en deux, entre une zone envahie de soleil et un territoire plongé dans l’ombre. Je reste du côté obscur, hésitant à franchir la frontière. On n’entend plus la chanson de l’enfant. L’homme se tient sur le seuil du balcon. Il observe ma silhouette dans l’ombre. Quelque chose ne va pas. Dans le grand appartement silencieux, quelque chose manque.

– Votre fils !

Ils me regardent sans comprendre.

– Où est votre fils ?

Comme s’il partageait mon inquiétude, le père referme la fenêtre, chassant le soleil. Le double salon d’apparat perd brusquement tout éclat. Les lames biseautées du parquet, transformées par les rayons lumineux en kaléidoscope, redeviennent une grosse masse sombre.

L’homme court en direction des chambres. Ses pas résonnent trop fort dans les pièces vides.

– Arthur !

Il hurle.

– Arthur !

Sa femme l’a rejoint, pendant que j’inspecte l’entrée et la cuisine.

Je m’agite pour faire semblant. Il n’y a personne. Je le sais déjà. Mais quoi ? Le père, penché au-dessus des rambardes du balcon, regarde en bas. Accrochée à son bras, sa femme sanglote.

– Mon fils.

La porte d’entrée de la cuisine donnant sur l’escalier de service n’a plus de serrure. Pour sortir de l’appartement, il aurait fallu passer devant moi. Aucune fenêtre n’est ouverte. Dans la dernière chambre, la cabine de phare où j’entre seule, je suis assaillie par une sensation étrange. Peut-être un inconnu, derrière les murs courbes d’une illusion d’optique, m’observe-t-il. Ou les paroles de la comptine flottent dans l’air, et je m’y cogne.

Chaque seconde a sa pareille

Ton rêve est l’envers du décor

Il m’est impossible de sortir de l’appartement où l’enfant n’est plus là.

Hélène Frappat – Lady Hunt – 2013 (Actes Sud)

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Silo – Hugh Howey

12 jeudi Déc 2013

Posted by Aurélie in Romans étrangers, SF

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Actes Sud, Critique de livre, Hugh Howey, roman, science fiction, Silo

Hugh Howey - SiloLes premières phrases

«  Les enfants jouaient pendant qu’Holston montait vers sa mort ; il les entendait crier comme seuls crient les enfants heureux. Alors que leurs courses folles tonnaient au-dessus de lui, Holston prenait son temps, et chacun de ses pas se faisait pesant, méthodique, tandis qu’il tournait et tournait dans le colimaçon, ses vieilles bottes sonnant contre les marches.

Les marches, comme  les bottes de son père, présentaient des signes d’usure. La peinture n’y tenait que par maigres écailles, surtout dans les coins et sur l’envers, où elle était hors d’atteinte. Le va-et-vient ailleurs dans l’escalier faisait frémir de petits nuages de poussière. Holston sentait les vibrations dans la rampe luisante, polie jusqu’au métal. Ça l’avait toujours ébahi : comment des siècles de paumes nues et de semelles traînantes pouvaient éroder l’acier massif. Une molécule après l’autre, supposait-il. Peut-être que chaque vie en effaçait une couche pendant que le silo, lui, effaçait cette vie.

Foulée par des générations, chaque marche était légèrement incurvée, son rebord émoussé comme une lèvre boudeuse. Au milieu, il ne restait presque aucune trace de ces petits losanges dont la surface tirait jadis son adhérence. L’absence s’en déduisait seulement du motif visible de chaque côté, où de petites bosses pyramidales, aux arêtes vives et écaillées de peinture, se découpaient sur l’acier.

Holston levait sa veille botte vers une vieille marche, appuyait sur sa jambe et recommençait. Il se perdait dans la contemplation de ce que les années sans nombre avaient fait, cette ablation des molécules et des vies, ces couches et ces couches réduites à l’état de fine poussière. Et il se dit, une fois de plus, que ni les vies ni les escaliers n’étaient faits pour ce genre d’existence. L’espace resserré de cette longue spirale, qui se déroulait dans le silo enterré comme une paille dans un verre, n’avait pas été conçu pour pareil traitement. Comme tant de choses dans leur gîtes cylindrique, il semblait obéir à d’autres fins, répondre à des fonctions depuis longtemps oubliées. Ce qui servait aujourd’hui de voie de communication à des milliers de personnes, dont les montées et descentes quotidiennes se répétaient par cycles, Holston le trouvait plus propre à servir en cas d’urgence et à quelques dizaines de personnes seulement.

Il franchit un palier supplémentaire – un camembert de dortoirs. Alors qu’il gravissait les quelques étages qui restaient, pour sa toute dernière ascension, les bruits de joies enfantines se mirent à pleuvoir plus fort au-dessus de lui. C’était le rire de la jeunesse, d’êtres qui ne s’interrogeaient pas encore sur l’endroit où ils grandissaient, ne sentaient pas encore la terre presser de tous côtés, ne se sentaient pas le moins du monde enterrés, mais en vie. En vie et inusés, ils faisaient ruisseler leurs trilles heureux dans la cage d’escalier, des trilles qui s’accordaient mal aux actions d’Holston, à sa décision, à sa détermination à sortir.  « 

Circonstances de lecture

Quand j’ai vu qu’Actes Sud se lançait dans la science-fiction, je n’ai pas hésité à acheter ce premier roman !

Impressions

Silo de Hugh Howey est un très bon roman de science-fiction. Bien écrit, bien construit, Silo se lit très vite tant le suspens est savamment distillé tout au long de ses 558 pages. Un homme, Holston, le shérif d’un mystérieux lieu souterrain (le silo), s’apprête à mourir. Il veut sortir du silo. Or, ce qui l’attend dehors, c’est une mort certaine : l’air extérieur est irrespirable. Mais avant de mourir, il devra nettoyer les caméras permettant aux hommes et femmes du silo d’apercevoir le paysage dévasté du monde extérieur. Qu’y a-t-il dehors ? Pourquoi les hommes sont-ils obligés de vivre sous terre ? Les images du dehors sont-elles vraiment réelles ? Que s’est-il passé pour que l’humanité en arrive là? Surtout, pourquoi est-il interdit de parler du passé ? Pourquoi est-il interdit d’espérer ?

Vivement la suite !

Un passage parmi d’autres

 La vue projetée dans la cellule n’était pas aussi floue que celle de la cafétéria et Holston passa son dernier jour dans le silo à considérer cette énigme. La caméra était-elle à l’abri du vent toxique, de ce côté ? Est-ce que chaque nettoyeur, condamné à mort, mettait davantage de soin à préserver la vue qui avait accompagné ses derniers instants ? Ou cet effort supplémentaire était-il un cadeau fait au prochain nettoyeur, qui lui aussi passerait son dernier jour dans cette cellule ?

Holston préférait la dernière explication. Elle lui faisait penser à sa femme avec nostalgie. Elle lui rappelait pourquoi il était là, du mauvais côté des barreaux, de son plein gré.

Alors que ses pensées se portaient vers Allison, il s’assit et fixa le monde mort que des peuples anciens avaient laissé. Ce n’était pas la meilleure vue sur le paysage qui environnait leur bunker enterré, mais ce n’était pas non plus la pire. Au loin, des collines basses, onduleuses, mettaient une jolie touche de brun, comme du jus de café contenant juste ce qu’il faut de lait de cochon. Le ciel, au-dessus des collines, était du même gris terne que celui de son enfance, et de l’enfance de son père, et de celle de son grand-père. Le seul trait mouvant du paysage, c’étaient les nuages. Ils planaient pleins et sombres au-dessus des collines. Ils erraient, libres, comme les bêtes en troupeau des albums illustrés.

La vue du monde mort occupait tout le mur de sa cellule, comme elle occupait tous ceux du dernier étage du silo, chacun présentant une partie différente des terres désolées et floues, toujours plus floues, qui s’étendaient dehors. Le petit morceau de monde d’Holston partait du bout de son lit de camp, montait jusqu’au plafond, et s’étendait jusqu’au mur opposé, pour redescendre vers les toilettes. Et malgré le léger flou – comme si on avait huilé l’objectif – on avait l’impression de pouvoir partir en promenade dans ce décor, dans ce trou béant et engageant curieusement placé en face d’infranchissables barreaux de prison.

Silo – Hugh Howey – octobre 2013 (Actes Sud)

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Une part de ciel – Claudie Gallay

04 vendredi Oct 2013

Posted by Aurélie in Romans français

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Actes Sud, Claudie Gallay, Critique de livre, roman, Une part de ciel

Claudie Gallay - Une part de cielLes premières phrases

«  On était trois semaines avant Noël. J’étais arrivée au Val par le seul train possible, celui de onze heures. Tous les autres arrêts avaient été supprimés. Pour gagner quelques minutes au bout, m’avait-on dit.

C’était où, le bout ? C’était quoi ?

Le train a passé le pont, a ralenti dans la courbe. Il a longé le chenil. Je me suis plaqué le front à la vitre, j’ai aperçu les grillages, les niches, les chiens. Plus loin, la scierie sombre et la route droite. Le bungalow de Gaby, la boutique à Sam, les boîtes aux lettres sur des piquets, le garage avec les deux pompes et le bar à Francky.

On avait bâti des maisons tristes cent mètres après la petite école. Les stations de ski étaient plus haut, sur d’autres versants.

J’ai pris ma valise. Je l’ai tirée jusqu’à la porte.

Le Val-des-Seuls n’est pas l’endroit le plus beau ni le plus perdu, juste un bourg tranquille sur la route des pistes avec des chalets d’été qui ferment dès septembre.

Le train est entré en gare.

J’ai regardé le quai.

J’avais froid.

J’ai toujours froid quand je reviens au Val. Un instant, j’ai ressenti l’envie terrible de rester dans le train.

Je suis née ici, d’un ventre et de ce lieu. Une naissance par le siège et sans pousser un cri. Ma mère a enterré mon cordon de vie dans la forêt. Elle m’a condamnée à ça, imiter ce que je sais faire, revenir toujours au même lieu et le fuir dès que je le retrouve. « 

Circonstances de lecture

J’aime beaucoup cet auteur, découvert lors de la sortie des Déferlantes.

Impressions

Un beau roman d’ambiance en plein cœur de l’hiver. A lire de préférence par temps froid, blottie sous la couette. Claudie Gallay nous plonge dans un petit village de montagne rattrapé par le progrès (le projet d’une piste de ski) où se côtoient des personnages sympathiques, en particulier le vieux Sam, philosophe malgré lui.

« Une part de ciel » est avant tout un livre sur l’attente. Ici, n’attendez pas de l’action : il n’y en a pas. Et c’est voulu. Carole revient dans son village natal, convoquée, comme son frère et sa sœur, par leur père, Curtil. Pour annoncer sa visite au Val-des-Seuls, celui-ci leur a envoyé à chacun une boule de verre pour touristes. Une façon de leur dire qu’il revient bientôt. Mais quand… nul ne le sait. Claudie Gallay nous place dans la tête de Carole. Les détails de la vie quotidienne foisonnent, par le biais de phrases courtes, hachées. De petites pépites parsèment le roman. A l’instar de cette phrase : « En tout être humain, il y a un lac, a dit ma mère, une tristesse liquide que les oignons aident à vider« .

Un passage parmi d’autres

 – Quand les monarques volent, on dirait un froissement d’étoffe. On raconte que le bruit de leurs ailes apporte aux vivants les paroles des morts.

Il a ouvert un paquet de biscuits, des Petit Lu de Nantes.

– Ma femme est morte il y a quelques années et je ne m’habitue pas à son absence.

J’ai bu une gorgée de thé. L’odeur m’a donné des frissons de dégoût. Je me suis forcée à le boire. Il me semblait que l’avaler froid serait pire.

Le vieux Sam trempait les Petit Lu qui s’émiettaient dans sa tasse.

– Je veux aller au Mexique pour entendre le vol des monarques quand ils se regroupent dans les forêts d’asclépiades.

– C’est pour ça que vous vendez votre boutique?

– Pour ça, oui.

– Vous croyez vraiment que les ailes des papillons vous apporteront les paroles de votre femme ?

– Pourquoi pas ?

– Parce que les morts sont morts, ils ne nous parlent plus.

Il a repris un peu de thé, en a bu lentement deux longues gorgées.

– Vous êtes brutale parfois.

Il a reposé sa tasse. Il restait au fond de la mienne un déchet rougeâtre qui faisait penser à du poivre écrasé.

– Il y a les choses visibles et il y a toutes les autres. Et s’il y a une seule chance pour que cette chose soit possible, alors je dois la tenter.

Il a glissé sa main dans le fond du tiroir, en a retiré un disque. Il a poussé le disque devant moi jusqu’à ce qu’il touche ma main.

– C’est l’enregistrement de leur vol. Vous écouterez… Et vous me direz.

Une part de ciel – Claudie Gallay – août 2013 (Actes Sud)

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Profanes – Jeanne Benameur

29 lundi Juil 2013

Posted by Aurélie in Romans français

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Actes Sud, Critique de livre, Jeanne Benameur, Profanes, roman

Jeanne Benameur - ProfanesLes premières phrases

«  Ils sont là, derrière la porte. Il ne faut pas que je rate mon entrée.

Maintenant que je les ai trouvés, tous les quatre, que je les ai rassemblés, il va falloir que je les réunisse. Réunir, ce n’est pas juste faire asseoir des gens dans la même pièce, un jour. C’est plus subtil. Il faut qu’entre eux se tisse quelque chose de fort.

Autour de moi, mais en dehors de moi.

Moi qui n’ai jamais eu le don de réunir qui que ce soit, ni famille ni amis. A peine mon équipe à la clinique, parce qu’ils y mettaient du leur. Je leur en savais gré. Ce n’est pas la même affaire dans une clinique, les choses se font parce que sinon c’est la vie qui part. Ce n’est pas autour de moi qu’ils étaient réunis, c’était contre la mort. Et ça, c’est fort.

Là, j’ai su tenir ma place.

J’ai quatre-vingt-dix ans. J’ai à nouveau besoin d’une équipe.

Il faut que ces quatre-là, si différents soient-ils, se tiennent. Pour mon temps à venir. Je m’embarque pour la partie  de ma vie la plus précieuse, celle où chaque instant compte, vraiment. Et j’ai décidé de ne rien lâcher, rien. « 

Circonstances de lecture

Un livre que j’ai reçu en cadeau.

Impressions

Profanes de Jeanne Benameur est un livre que l’on lit tout doucement, pour s’imprégner de chaque phrase, de chaque mot. Octave Lassale a 90 ans. Sur lui, pèse la mort de sa fille, à dix-neuf ans. Chirurgien, il a refusé de l’opérer, préférant la laisser entre les mains d’un autre chirurgien. Une décision qui pèse sur lui alors qu’il s’apprête à vivre les dernières années de sa vie. Pour faire face, il décide de s’entourer de quatre personnes. Et ainsi de se recomposer une équipe, comme du temps où il travaillait à la clinique. Chacun, avec ses forces et ses faiblesses, saura, il en est sûr, lui apporter la paix qu’il recherche depuis des années.

Jeanne Benameur trouve les mots pour parler de la douleur, de la perte, de la mort et de la vie. On en ressort rasséréné, comme apaisé par ce qui nous attend tous.

Un passage parmi d’autres

 Elle murmure J’avais vu les livres de poèmes dans votre cabinet, en bas, le jour du premier entretien.

Il sourit. Ainsi chacun observe l’autre et on ne sait jamais ce qui de nous sera retenu, à notre insu.

Elle ajoute Ça m’avait rassurée.

Le vieil homme poursuit Moi aussi, ça me rassure. Quand je n’ai plus de refuge, je vais dans les mots. J’ai toujours trouvé un abri, là. Un abri creusé par d’autres, que je ne connaîtrai jamais et qui ont œuvré pour d’autres qu’ils ne connaîtront jamais. C’est rassurant, de penser ça. C’est peut-être la seule chose qui me rassure vraiment.

Et Béatrice ose livrer encore. Moi je danse, quand je ne trouve plus de refuge. La nuit, surtout. Depuis toute petite, je danse. Quand je lance tout mon corps dans l’espace, je ferme les yeux, je ne sais plus ce que font mes bras mes jambes, ça n’a plus d’importance. Il y a des chiffres dans ma tête. Rien que des chiffres qui rythment. Et les mouvements qui m’emportent. Plus rien que mon corps et l’espace. Plus rien d’autre.

Octave écoute. Ainsi, à chaque fois, qu’il a entendu ses pas marteler le parquet, elle tentait de chasser la peur. Il ferme les yeux. Qu’est-ce qu’on sait des gens, même sous son propre toit?

Profanes – Jeanne Benameur – 2013 (Actes Sud)

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Anima – Wajdi Mouawad

06 jeudi Juin 2013

Posted by Aurélie in Policiers / Thrillers, Romans français

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Actes Sud, Anima, Critique de livre, Leméac, roman, Wajdi Mouawad

Les premières phrases

Wajdi Mouawad - Anima«  Ils avaient tant joué à mourir dans les bras l’un de l’autre, qu’en la trouvant ensanglantée au milieu du salon, il a éclaté de rire, convaincu d’être devant une mise en scène, quelque chose de grandiose, pour le surprendre cette fois-ci, le terrasser, l’estomaquer, lui faire perdre la tête, l’avoir.

Lâchant le sac plastique jaune, le matin même elle lui avait dit de sa voix enjouée Tu achèteras du thon car le-thon-c’est-bon, il comprenait qu’elle était morte puisqu’elle avait les yeux ouverts, le regard fixe et tenait, entre ses mains, sa blessure, le couteau planté là dans son sexe.

Otez la terre dessus ma tête, voulut-il hurler, comme au jour ancien où des hommes l’avaient enterré vivant. Il ne faut pas que je pleure, s’était-il répété, si je pleure, si je crie, ils recommenceront, me sortiront, me tueront et me remettront dedans. Et là encore, debout au milieu du corridor de l’entrée, perdant la mesure du temps, il n’a pas bougé, n’a pas respiré, de peur que cela ne recommence, qu’elle ne meure de nouveau, ce qui était absurde enfin puisqu’elle était morte de toute évidence, les mains agrippées à la lame, bouquet de fleurs sur son ventre cassé. Sans doute avait-elle tenté de retirer le couteau durant son agonie, je l’ignore, mais si tel était le cas, elle a dû mourir avant, l’effort exigeant trop de sang. Il a imaginé, j’en suis sûr, les derniers battements de son coeur, poisson-chat au milieu de la poitrine, abandonné à lui-même, entraîné vers les profondeurs. Il a imaginé, j’en suis sûr, son sang courir une dernière fois, fuite effrénée, aveugle, à travers le dédale de ses veines pour jaillir comme un éclat de rire par la blessure ouverte, son sexe, où le couteau avait été planté puis replanté puis replanté et replanté encore. « 

Circonstances de lecture

Coup de cœur de mon libraire, je l’ai acheté sans trop savoir à quoi m’attendre.

Impressions

Anima est un livre choc, un livre coup de poing, mélange de poésie et d’une extrême violence. Le héros, Wahhch Debch, découvre sa femme atrocement assassinée dans son salon. Il n’a plus alors qu’une obsession : retrouver son meurtrier, pour être sûr que ce n’est pas lui-même qui l’a tuée ! Commence alors un road movie à la poursuite du meurtrier mais aussi de son passé, du Canada au Nouveau Mexique en passant par les Etats-Unis et le Liban.

Et, parce que Wahhch ne trouve sans doute plus les mots pour exprimer sa souffrance, ce sont des animaux croisés le long de son périple qui vont raconter son histoire. Du chat domestique découvrant son maître agenouillé près de sa maîtresse morte, aux papillons, araignées, serpents, oiseaux, chevaux jusqu’à un chien terrifiant et magnifique. En choisissant de montrer la bestialité de l’être humain à travers les yeux des bêtes, Wajdi Mouawad réussit un superbe roman, dont on ressort remué par l’écriture emplie de poésie et la violence des mots et de l’histoire.

Un passage parmi d’autres

 Il m’a parlé du malheur qui fond parfois sur les humains et de la douleur engendrée par la permanence de la mémoire que rien n’efface, sauf la mort. Il a levé la tête et m’a indiqué l’étoile qui se tient fixe à la verticale du pôle et autour de laquelle tournent sans fin les constellations du ciel. « Aigle, Cygne, Ours, Dragon et Cheval. Tu la vois ? C’est l’étoile du Nord. Ainsi, malheurs, bonheurs, pertes et joies tournent pareillement autour de nos vies, et si aujourd’hui tu es malheureux, demain tu seras de nouveau heureux. Cette vérité si simple, si pure, je la connais depuis toujours et pourtant je ne sais plus ce qu’elle signifie, elle n’est plus que mots, que lettres accolées sans plus de sens, cendre, farine dans ma bouche. La parole s’effrite, elle s’effrite comme ces villes qui passent et défilent sous nos yeux : où sont-elles à présent ? Et moi, je suis ce wagon sans murs, ni plafond, ni marchandises, à la merci du vent, poussé, tracté par une locomotive dont je ne connais ni la destination ni le chauffeur. Mais tant pis. Je n’ai plus rien à craindre. J’irai jusqu’au bout des rails même si le brouillard me semble d’une épaisseur infinie. » Il a refermé les yeux, il s’est blotti contre moi et, malgré le vacarme de cet attelage qui nous entraînait, malgré l’agitation qui ravageait mon esprit, il a essayé de s’endormir.

Anima – Wajdi Mouawad – 2012 (Actes Sud – Leméac)

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